En Corée du Sud, chaque semaine apporte au minimum 60 HEURES de programmation inédite... rien que pour les séries ! Il faut dire que le pays du matin calme a vécu pendant longtemps une histoire d'amour contrariée avec la télévision, et semble à présent rattraper le temps perdu. Et on peut dire que les Coréens ne s'en privent pas !
Tandis qu'en Occident, et notamment aux USA, la télévision passe en sous-régime pendant l'été, c'est peut-être justement la période idéale pour découvrir un système qui ne connait plus un seul temps mort.
- Le parcours du combattant de la télévision coréenne
Dans la deuxième moitié des années 50, la Corée fait un premier pas sur le chemin de la télévision : en 1956 s'ouvre sa première station privée, KORCAD, opérée par le groupe américain RCA et qui diffuse essentiellement des programmes étrangers. L'idée était surtout d'ouvrir un marché pour la vente de postes de télévision, mais les foyers ne se sont alors pas massivement équipés. Bien qu'étant le 4e pays asiatique à ainsi entrer dans le monde cathodique, il lui faudra pourtant faire marche arrière 3 ans plus tard quand la station KORCAD brûle corps et bien, et RCA décide alors de retirer ses billes du marché coréen. Il n'y a alors que 300 postes dans toute la Corée du Sud... Ce ne sera pas pour cette fois !
Ce n'est qu'en 1961 que le pays se dote de sa première chaîne, KBS ; une chaîne publique qui voit le jour en même temps que le président Chung Hee Park prend le pouvoir. Ce militaire de carrière impose un régime très autoritaire, et la télévision publique fait partie de son arsenal de domination. Si le pays connait à cette époque de nombreux développement économiques favorables, la télévision reste avant tout un outil de propagande gouvernementale. Toutefois, le marché est très vite ouvert à la concurrence : TBC est lancée en 1964 et MBC en 1969 ; côté fiction, les trois chaînes diffusent majoritairement des soaps et des sitcoms bas de gamme achetés aux États-Unis. La loi le permettant, l'État fait aussi main basse sur MBC pendant les années 70. Cette décennie ne verra pas tellement l'offre évoluer, cependant les familles s'équipent et en 1979, on compte déjà 4 millions de téléviseurs !
Mais lorsque la dictature de Park s'achève par un putsch sanglant (et l'assassinat de Park lui-même), le nouveau régime ne voit pas les médias d'un bon œil. Inquiet que la télévision, notamment, se permette de critiquer le nouveau régime encore fragile, le gouvernement s'assure que la chaîne privée TBC ferme ses portes, et sa structure est fusionnée au service public (devenant ainsi KBS2). Il ne reste ainsi plus que des chaînes contrôlées par l'État. Pourtant, le monopole public permet à la télévision coréenne de développer sa programmation, au moins sur une base quantitative : en une décennie, le nombre d'heures de programmes proposés par semaine va passer de 56h à 88h. A la fin des années 80, ce sont maintenant 6 millions de foyers qui sont équipés d'une télévision ; l'arrivée de la couleur en 1981 a beaucoup fait pour ce développement. Pendant toute la décennie, les importations de fictions américaines chutent énormément ; le gouvernement vote notamment une loi en 1987 imposant aux chaînes 10% de programmation d'information, 40% d'émissions éducatives et culturelles, et seulement 20% de divertissement (dont les fictions).
Eh non, la Corée du Sud n'avait pas
la couleur dans les années 70 !
Jusqu'en 1991, date de la création de SBS, la télévision coréenne restera donc uniquement publique. Mais lorsque la chaîne locale (basée à Séoul) obtient sa licence, le marché s'ouvre à nouveau, et c'est reparti pour un tour ! Les années 90 voient le lancement du câble en 1995, et du satellite l'année suivante, ce qui ouvre de nombreux horizons pour les programmes comme pour les spectateurs. L'appétit des Coréens pour la télévision leur donne alors des fringales que plus rien ne pourra arrêter !
Du fait de l'histoire en accordéon de la télévision coréenne, il a donc fallu attendre les années 90 pour que les foyers Coréens profitent d'une offre télévisuelle variée et, surtout, laissant une place aux compagnies privées. Depuis lors, la Corée du Sud a massivement investi dans le développement de ses médias, et aujourd'hui, on compte 20 millions de télévisions dans le pays. Le retard est donc largement rattrapé ! Qui plus est, la dernière bataille en date a été remportée en 2005 ; les chaînes, qui jusque là ne diffusaient rien entre 10h du matin et 17h, ont enfin commencé à programmer des émissions dans la journée. C'est donc réellement d'une télévision non-stop dont profitent les Coréens.
La fiction "maison" est devenue un sport national et les chaînes ne diffusent d'ailleurs pas du tout de séries étrangères en prime time. En tout, les Coréens regardent en moyenne la télévision 3h par jour en semaine, et jusqu'à 5h le weekend, ce qui en fait leur activité de loisir la plus importante ; et on les comprend, parce que maintenant, on les y gâte vraiment...
- Télévision non-stop
On l'a dit, les Coréens ont longtemps attendu avant que leur télévision leur offre des programmes variés et divertissants. Alors maintenant qu'ils l'ont, ils ne vont plus la lâcher, c'est bien compris ?
L'une des caractéristiques les plus impressionnantes de la programmation de fictions en Corée du Sud, c'est en effet qu'il n'existe pas vraiment de saison. Sinon, ça voudrait dire que ces saisons ont un début et une fin, et ça, il n'en est absolument pas question ! A la télévision coréenne, les séries se succèdent de façon ininterrompue.
On peut distinguer deux types de séries : d'une part, les soaps, diffusés de façon quotidienne (essentiellement le matin, à l'heure où enfants et mari sont hors de la maison), qui couvrent en général 6 mois. Les séries dramatiques et les comédies, elles, sont diffusées deux jours par semaine : soit le lundi et le mardi, soit le mercredi et le jeudi, soit le samedi et le dimanche. A raison de deux inédits par semaine, ces séries de 16 à 20 épisodes, parfois 30, ne tiennent pas plus de deux à trois mois. Les exceptions qui confirment la règle sont à aller chercher du côté des sagas historiques (ou daeha ; voir ci-dessous) qui peuvent parfois compter une cinquantaine d'épisodes, mais ce n'est pas systématique.
Si les séries sont parfois prolongées en cours de saison par une commande de quelques épisodes supplémentaires (ou, si vraiment les audiences sont piteuses, parfois elles peuvent être raccourcies), en revanche elles ne sont jamais renouvelées pour une deuxième "saison" (terme à prendre avec des pincettes vu qu'on vient de dire qu'il n'y avait pas de saison en Corée).
Place ! Place ! Il y a toujours une nouveauté qui attend d'être diffusée.
Ce système bi-hebdomadaire permet à la fois d'entretenir l'appétit des spectateurs, désireux de ne pas attendre trop longtemps avant de connaître la suite de l'histoire, et en même temps, évite l'overdose, puisque 24h séparent les deux épisodes diffusés la même semaine. Un planning ingénieux qui a aussi ses défauts : les séries coréennes étant généralement (mais pas toujours) tournées avec deux ou trois semaines d'avance sur la diffusion, les cadences de tournage relèvent du sado-masochisme. Et quand une série est prolongée ou écourtée (ce qui n'est pas la règle mais peut se produire au nom du Dieu audiences), ça devient vite mission impossible.
Le siège social de KBS à Séoul
- Les chaînes coréennes
Les networks coréens sont assez nombreux, mais seuls 3 comptent réellement en matière de séries :
KBS : le service public principal. Contrairement aux chaînes publiques de beaucoup de pays, elle n'a pas la réputation de s'adresser à un public plus âgé, et se distingue régulièrement par d'excellentes audiences pour ses fictions. La vraie surprise, c'est que la redevance ne coûte pas plus de 30€ au contribuable...
MBC : network semi-public, comme on l'a vu, MBC a depuis regagné la confiance des foyers et un peu d'indépendance. C'est, d'une courte tête, la deuxième chaîne la plus regardée.
SBS : apparu au début des années 90, ce network à vocation d'abord locale s'est vite étendu. C'est un peu "la petite chaîne qui monte" en Corée, et elle se démène beaucoup pour cela.
Deux autres chaînes proposent des fictions coréennes :
tvN : network payant dont la vocation essentielle est d'être généraliste. Cette filiale du groupe FOX programme des séries faites maison depuis quelques années seulement.
OCN : cette chaîne du câble a débuté en s'appuyant sur le monde du cinéma. Depuis 2005, elle propose des séries haut de gamme, sa production ayant en qualitatif ce qu'elle n'a certainement pas en quantitatif.
- Les différents sous-genres de séries coréens
A chaque pays son vocabulaire télévisuel. Pour mieux comprendre les deurama (???), le mot coréen qualifiant les séries, voici quelques genres de fictions qu'on trouve couramment sur les écrans du pays du matin calme :
daeha : qualifie une série historique, quelle que soit son époque. Si l'on trouve beaucoup de séries historiques se déroulant il y a plusieurs siècles, le daeha est un terme généraliste pouvant aussi désigner une série dont le contexte historique n'a que quelques décennies.
saeguk : cas particulier du précédent. C'est le terme qualifiant une série historique se passant il y a plusieurs siècles, bien souvent pendant l'ère Joseon, une période culturellement importante pour la Corée, et s'étendant de la fin du XIVe siècle au XIXe. On y trouve en général beaucoup de costumes traditionnels !
- Étoiles filantes
Parlons un peu de ceux qui font la fiction coréenne. Ou plutôt, ceux qui lui prêtent leur visage... et en général, c'est éphémère.
La fiction coréenne développe de plus en plus une certaine tendance à appâter le spectateur avec une affiche alléchante : acteurs et actrices célèbres (parfois pour avoir été chanteurs et/ou mannequins auparavant), mais également auteurs et même réalisateurs. Il est d'ailleurs intéressant de noter que ces deux derniers ont généralement un statut d'employé auprès de la chaîne qui leur passe commande de séries ; les sociétés de production indépendantes des chaînes, vendant une série à un diffuseur, sont un phénomène récent en Corée, et encore assez marginal.
Les acteurs plébiscités par le public se voient en général ouvrir de nombreuses portes au cinéma, mais aussi dans la publicité où ils deviennent égéries de nombreuses marques pour lesquelles ils font alors des campagnes. Et bien-sûr, plus il y a de mouvement autour d'un acteur suite au succès d'une série, plus il est demandé, et donc plus il est important d'embaucher des acteurs et actrices populaires dans les séries.
Mais si le système de la fiction repose sur ses vedettes, il leur impose aussi un poids énorme. D'abord, le culte de la beauté est très fort dans les médias, et il est de notoriété publique que de nombreuses célébrités ont recours à des opérations de chirurgie, de façon en fait quasi-systématique. Plus grave, des études menées par des associations pour les Droits de l'Homme ont montré que 60% des actrices sont victimes de harcèlement sexuel ; 7% avouent avoir été violées à un moment ou un autre de leur carrière.
Toute lumière a son ombre, et dans une industrie devenue compétitive de façon récente, la moindre faiblesse ne pardonne pas. On trouve un taux de suicide assez élevé chez les acteurs coréens ; d'une façon générale, même sans ça, les carrières sont assez courtes.
Enfin, sur un sujet à peine plus léger, il faut aussi compter sur un autre phénomène pour abréger les carrières des acteurs (masculins) : en Corée du Sud, le service militaire dure rien moins que deux ans, et il est rare d'y échapper. Dans un système où tout va si vite, en deux ans, on est vite oublié, et si ce n'est le public qui a la mémoire courte, c'est vrai au moins pour les annonceurs. Il est très difficile pour un grand nombre de jeunes hommes de faire leur retour dans la profession après une telle pause.
Ja Yun Jang s'est suicidée en 2009,
pendant la diffusion de Kkotboda Namja
où elle tenait un rôle secondaire
- Représentative, ma télé ?
La télévision coréenne s'adresse avant tout à un public jeune vivant en ville.
Dans un pays où la population est constituée à 25% de pêcheurs et d'agriculteurs, on trouve pourtant très peu de séries dont les personnages vivent dans cet environnement.
A l'inverse, la population sur-représentée est celle des 20-39 ans, qui d'après une étude concerne jusqu'à 56% des personnages, alors que seuls 30% des Coréens sont réellement dans cette tranche d'âge.
C'est un fait d'autant plus étonnant que les statistiques montrent que le weekend, toutes les tranches d'âges regardent le même volume horaire de programme télévisé. Cependant, bien que consommateur de fictions comme tout le monde, il est vrai que le plus public âgé ne regarde pas nécessairement que des fictions. Par exemple, songez que les programmes d'information, toutes chaînes combinées, attirent 70% des spectateurs chaque soir ! Du délire.
- Et ce n'est que le commencement !
On va aborder un dernier point vite fait, avant de clore cette introduction à la télévision coréenne... c'est la popularité de celle-ci à l'étranger. La Corée, depuis environ une décennie, connait un regain d'intérêt hors de ses frontières : d'abord dans d'autres pays d'Asie (Chine, Taiwan, Vietnam...), et maintenant en Occident aussi.
Cette tendance, sur nommée "hallyu" ou "korean wave", lui a permis d'exporter de nombreux produits culturels, dont ses séries télévisées. Un nombre grandissant de chanteurs et d'acteurs s'essayent à une carrière au Japon et/ou aux USA. Et, surtout, de plus en plus de pays font l'acquisition de droits pour diffuser les deurama dans leur pays. Entre 2001 et 2005, les exportations de fictions ont augmenté de 20 à 30% chaque année !
IRIS, la série qui s'est le mieux exportée en 2009
A défaut de compter sur l'acquisition de droits par les chaînes traditionnelles, des services de VOD se mettent en place : DramaFever aux États-Unis, DramaPassion en Europe (voir notre présentation du service). Mais on aura, à coup sûr, l'occasion d'en reparler, car la déferlante est loin d'être finie.
Ceci est un article tiré di site Serieslive que vous pouvez consulter ici.